Actualité Débats Kervasdoué – Quelques vérités sur la biodiversité

by Jean de Kersvasdoué, 6 janvier 2020 in LePoint


Derrière une bataille de chiffres alarmistes se cachent des biais statistiques et des questions de fond sur ce que l’on entend par « biodiversité ».

 

À l’occasion des vœux à la nation, le président de la République, Emmanuel Macron, a déclaré vouloir « œuvrer en faveur de la biodiversité ». Cet objectif est noble pour de multiples raisons et, notamment, parce que certaines espèces de grands mammifères sont menacées mais aussi quelques plantes et animaux de la métropole. Les grands singes, le rhinocéros noir sont en voie d’extinction. En ce qui concerne ce dernier, selon l’UICN, il n’en restait que 5 055 têtes en 2012. Or ces animaux continuent d’être chassés pour les prétendues valeurs aphrodisiaques de leur corne revendue 40 000 dollars le kilo à Shanghai. On comprend pourquoi les braconniers les recherchent et trouvent des complicités chez des gardes mal payés qui, en outre, risquent leur vie en s’opposant aux auteurs de ces regrettables massacres. A contrario, certaines espèces que l’on croyait disparues à l’état sauvage renaissent, comme la perruche de l’île Maurice ou l’oryx d’Arabie. Toutefois, en la matière, les bonnes nouvelles sont rares et la liste des espèces menacées à l’état sauvage s’allonge dans le monde du fait de la croissance de la population de la planète et de la mise en culture d’espaces jusque-là occupés par la forêt. Des écosystèmes disparaissent et avec eux végétaux et animaux qui y vivaient. Si donc préserver ces espèces est un objectif louable, il concerne rarement la France à l’exception des forêts de Guyane, mais il la touche cependant.

En France métropolitaine, le nombre de plantes supérieures, à fleurs, dites « phanérogames », donc hors champignons, mousses, fougères, lichens, algues, etc., du territoire métropolitain est d’environ 5 000 espèces sauvages ou cultivées. Pour les vertébrés, on y trouve de l’ordre de 40 poissons d’eau douce, 40 amphibiens (ou batraciens), 40 reptiles (serpents, lézards, tortues), 400 oiseaux en comptant des migrateurs qui ne nichent pas sur le territoire national, et 80 mammifères. Au total : environ 600 vertébrés. Donc, en additionnant les végétaux supérieurs et les animaux supérieurs, au sens de l’évolution darwinienne, 5 600 espèces en France. La très grande majorité n’est pas menacée et les espèces qui sont prétendues l’être (1) ne le sont pas toujours.

L’exagération est la règle

Sur les six espèces décrites comme pouvant disparaître, il y a une plante (l’orchis couleur de lait) et cinq animaux (la sterne de l’Arctique, le lynx boréal, la grenouille des champs, la tortue d’Hermann et l’anguille). On trouve l’orchis couleur de lait dans le sud de la France et en Corse, il est difficile de mesurer la réalité de la menace qui pèse sur elle (2), faute de méthode de recensement. En ce qui concerne les espèces animales, deux ne sont en rien menacées (la sterne et le lynx boréal). Si la grenouille des champs l’est dans notre pays, elle ne l’est pas ailleurs en Europe à l’exception de la grenouille des Pyrénées. Restent la tortue d’Hermann et l’anguille européenne.

La tortue d’Hermann est la seule espèce de tortue terrestre de France. Elle est présente dans le Var et en Corse. Son habitat est détruit par les feux de forêt, le débroussaillage, le morcellement des parcelles, les routes et l’habitat pavillonnaire. Quant à l’anguille européenne (Anguilla anguilla), autrefois abondante dans tous les cours d’eau et les zones humides (lacs, étangs, marais, mares, fossés), son déclin se constate depuis 40 ans. Cette régression provient de plusieurs facteurs : divers contaminants toxiques (pesticides organochlorés bio-accumulés par l’anguille), la surpêche des civelles et des adultes de plus en plus appréciés, le braconnage, les obstacles sur la route des alevins et une augmentation du taux de parasitisme (par le nématode Anguillicola crassus) qui perturbe la migration marine des adultes. Un règlement européen (R(CE) no 1100/2007) impose des mesures de connaissance et de protection et de gestion de l’anguille et semble porter des fruits.

Les menaces sont donc souvent approximatives et l’exagération est la règle. La désinformation règne et se propage d’autant plus facilement que les concepts sont flous, la compréhension des phénomènes inexistante et leur idéologie dissimulée avec pour principal ressort : la peur. Parle-t-on des espèces ou de leurs effectifs ?

On recense 780 espèces disparues de la Terre depuis le début du XVIe siècle, sur les 5 millions d’espèces qu’abrite vraisemblablement notre planète. En 2016, la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme annonce qu’il en disparaît une toutes les 20 minutes, soit 26 280 par an. Dans son rapport de 2016 le WWF indique qu’entre « 1970 et 2012 les effectifs de la population des vertébrés a baissé de 58 % (3) », le journal Le Monde titre en première page le 28 octobre 2016 : « Biodiversité : 58 % des vertébrés ont disparu en quarante ans », oubliant de souligner qu’il s’agit d’effectifs, pas d’espèces.

La biodiversité peut être un concept statique ?

Peut-on d’ailleurs parler de biodiversité en général ? Pour l’analyse des biais statistiques et conceptuels des rapports des puissantes associations qui se donnent pour mission de recenser les animaux (le plus souvent : les seuls vertébrés) et les végétaux phanérogames (le long des fleuves, plus que dans la forêt profonde), le lecteur se reportera à l’ouvrage d’Alain Pavé (4). L’intérêt principal de ce livre est cependant ailleurs. L’auteur se demande en effet si la biodiversité peut être un concept statique ? Doit-on partir du recensement à un instant donné de toutes les espèces vivant sur un territoire précis et tenter de les conserver à tout prix en l’état ? Si ce concept est statique, quelle est la place de l’homme ? Quel homme ? Avec quelle technologie ? Alain Pavé démontre que la biodiversité ne peut qu’être un concept dynamique, même sans incursion humaine, et que l’équilibre entre espèces a toujours été et sera toujours instable.

En outre, comment mesure-t-on la biodiversité ? Attache-t-on un même poids au virus de la variole qu’au tigre du Bengale ? Et si l’on se bat pour empêcher la construction du barrage de Sirven au nom de la défense de la biodiversité d’une zone humide – très propice aux insectes et aux maladies qu’ils véhiculent – pourquoi ne tient-on pas compte de la biodiversité aquatique du lac futur que créera ce barrage, car, le jour où il aura été mis en eau, viendront y vivre de très nombreuses espèces aquatiques. Est-il certain qu’en nombre d’espèces le solde serait négatif et la biodiversité amoindrie ?

Si l’on regarde la biodiversité sur une longue période, le catastrophisme ne s’impose pas. Ainsi, depuis le Cambrien (542 millions d’années) il y a eu cinq grandes extinctions et à chaque fois la vie a repris de plus belle. Si on se limite aux seules espèces marines – mieux connues, car elles laissent systématiquement des traces sédimentaires –, les espèces d’aujourd’hui sont cinq fois plus nombreuses qu’au début du Jurassique, il y a 150 millions d’années.

Quant aux nombres d’individus par espèce, les variations dans le temps, sur courtes périodes, sont considérables et ceci bien avant que les techniques modernes – celles de pêche dans ce cas – n’interfèrent de manière significative. Ainsi, on connaît les populations de sardines qui vivent au large de la Californie depuis 2 000 ans (5), car leurs écailles laissent des traces dans les sédiments. Surprise : on découvre qu’à un instant donné les populations varient de 1 à 8 et que ces variations sont à la fois soudaines, erratiques et imprévisibles.

Les incohérences de la politique en faveur de la biodiversité

La biodiversité est complexe et ne peut pas se réduire à compter le nombre d’espèces, car les animaux et les plantes interagissent, ainsi que le font, entre elles, les plantes en émettant des substances volatiles. En outre, la notion d’espèce est une catégorie taxonomique, une place dans une classification, ce n’est ni un niveau d’organisation ni un être vivant et encore moins un écosystème. Car il faut bien distinguer cellule, organisme, population, communauté, écosystème, biome et biosphère. Or l’on atteint très vite un nombre d’interactions qui rend impossible toute modélisation. Ainsi, on est incapable de prévoir l’évolution « naturelle » d’un écosystème pour cette raison, mais aussi, et peut-être surtout, parce que le hasard joue un rôle considérable. On peut donc craindre le pire d’un pays où le principe de précaution prétend maitriser une nature immaîtrisable et fait orgueilleusement (et coûteusement) fi du hasard.

Par ailleurs, si l’on œuvre en faveur de la biodiversité, favorise-t-on les OGM qui, indéniablement, l’enrichissent ? Éradique-t-on les nouvelles espèces qui apparaissent comme ce moustique né dans le métro de Londres au XIXe siècle ou les perruches revenues en France à l’état sauvage et qui, en région parisienne, chassent merles, grives, moineaux et pies ? Et si la France veut favoriser la biodiversité, pourquoi a-t-elle fait disparaître son service des Haras ? Pourquoi entretient-elle si mal la collection des graines entreposées à Versailles (plus de 5 000 variétés de pommes dans la collection, 20 000 en Europe) ? Car, bien entendu, il faut inclure dans la biodiversité les espèces créées par l’homme depuis dix mille ans. Enfin, va-t-on interdire les jardins à la française à la biodiversité réduite, mais menacée par la pyrale du buis. Est-elle une espèce protégée ?

Quelle écologie va l’emporter : l’écologie scientifique ou l’écologie politique ? Il est à craindre que le conservationnisme malthusien qui remonte aux années 1960, celui d’une écologie fixiste, ne domine, même s’il s’est systématiquement trompé dans ses prévisions. On va donc appuyer la politique à venir sur encore plus de règlements et plus d’interdits en voulant conserver une nature qui nous fera des clins d’œil en ne répondant pas à nos prétentions d’omnipotence. Il suffit pour s’en convaincre de constater les ravages d’espèces autrefois protégées comme les cormorans et les sangliers, sans parler de ceux des loups.

(1) Le Figaro du 7 mai 2019

(2) Il existe en France métropolitaine vingt-huit genres d’orchidées et au moins deux cents espèces, dont l’immense majorité n’est pas menacée

(3) Pourcentage à prendre avec grande précaution

(4) Alain Pavé, Comprendre la biodiversité, vrais problèmes et idées fausses, Le Seuil , 2019

(5) Ferrières et Cazelles, « Universal power laws govern intermittent rarity in community of interacting species », Ecology, 80 (5), 1999, p.1505-1521

LA RÉDACTION VOUS CONSEILLE

Kervasdoué – Les tribunaux et la science
Jean de Kervasdoué – Qui a dit qu’on allait manquer d’eau ?
Jean de Kervasdoué – L’éolien et le photovoltaïque : des voies sans issue