Les ressources naturelles sont-elles inépuisables?

Les ressources naturelles [1] peuvent-elles satisfaire sans fins nos exigences de bien être ?  À long terme surement pas, les gisements (métaux -uranium, thorium, or … et pierres précieuses –diamants, saphirs, topazes…), les hydrocarbures (gazeux, liquides, solides) et les géomatériaux (roches, sables, granulats…) ne sont pas renouvelables. L’économie internationale étant contrainte en premier lieu par la géologie, il en résulte une distribution inégale des richesses de la Terre et une lutte pour se les approprier, nécessitant un développement technologique pour accroître les volumes récupérables. Certains vont même jusqu’à parier que les futures ressources seront à prendre sur d’autres planètes, sur des astéroïdes ; des équipes y travaillent déjà. En attendant, tentons un bilan de la situation actuelle : reste-t-il assez de ressources sur notre planète? Pour combien de temps ?  Estimer leur volume ultime[2] est assez facile grâce à l’exploration de plus en plus efficace, mais prédire leur durée d’exploitation est une autre paire de manches car elle dépend de facteurs économiques et politiques aléatoires aussi bien dans les court et moyen termes. Les réserves ne peuvent qu’évoluer au cours du temps en fonction des moyens et les déclarer est un acte politique et économique de grande importance.

Déterminer l’âge de la Terre : une bien longue quête

par Alain Préat


On pourrait croire qu’avec l’avènement de la physique nucléaire lié à la découverte de la radioactivité en 1896, l’âge absolu de la Terre aurait été facile à déterminer. Il n’en fut rien. Avant cela, le débat, voire les querelles sur l’âge de la Terre, étaient nombreuses. D’après James Ussher (1581-1656), archevêque anglican d’Armagh et primat d’Irlande, qui se basait sur la chronologie biblique, la Création aurait eu lieu dans la nuit précédant le dimanche 23 octobre 4004 avant Jésus Christ (calendrier julien). Selon lui, la Terre serait donc récente ; ces déclarations furent prises pour argent comptant pendant près de trois siècles. Avant Ussher, cet âge était encore plus énigmatique : soit la Terre avait toujours existé (Aristote), soit elle avait « simplement » été créée avec l’Univers sans date précise (religions monothéistes). L’âge biblique intrigua bien entendu de nombreux savants depuis la Renaissance (Kepler, Newton, Descartes, Kelvin, Halley …) qui utilisèrent des méthodes de calcul variées (érosion des reliefs, salinité des océans, refroidissement du Globe, distance Terre-Lune…) pour aboutir à des âges de quelques milliers d’années à quelques dizaines de millions d’années. Pour ces premiers scientifiques (ils étaient très nombreux), les temps géologiques étaient bien plus longs que les temps historiques. En 1721, Henri Gautier, inspecteur des ponts et chaussées en Languedoc, publia le chiffre de 35 000 ans à partir d’études sur l’ablation des reliefs. En réalité, ses calculs le menèrent à quelques millions d’années, mais il publia volontairement un âge faux pour éviter des problèmes avec l’Église En 1859, Charles Darwin avança le chiffre de 300 millions d’années [1] ce qui laissait suffisamment de temps aux espèces vivantes pour évoluer. Face aux critiques, il se ravisa et proposa environ 40 millions d’années (suite lien web).

L’Histoire Naturelle est chaotique, la biodiversité aussi …

par Alain Préat

S‘il l’on procédait à ‘une remise à zéro totale’ des processus ayant affecté l’évolution de notre planète, il est fort à parier qu’aujourd’hui, c’est-à-dire 4,567 milliards d’années après la formation de la Terre, la Vie serait bien différente avec une chimie (ADN ou autre combinaison chimique) et biologie (autres plans d’anatomie, autres crises, autre biodiversité) que l’on a difficile à imaginer. La Vie aurait influencé différemment la composition de notre atmosphère (c’est par exemple elle qui est à l’origine de notre oxygène) en même temps que l’atmosphère régule la Vie. Pourrait-on le prévoir? 

L’oxygène : un poison pendant plusieurs milliards d’années….

par Alain Préat


Nous ne nous en rendons pas compte, mais chacune de nos inspirations nous apporte 21% d’oxygène, et cette concentration élevée n’est présente que sur notre planète (en l’état actuel des connaissances), et depuis peu de temps ! L’oxygène atmosphérique était en effet en quantité infinitésimale (entre un dix millième et un millième de pourcent de sa concentration actuelle) depuis la formation de la Terre il y a 4,56 Ga [1] jusqu’au Grand Evénement d’Oxygénation (GEO, encore appelé ‘la grande oxydation’ ou la ‘catastrophe de l’oxygène’) qui affecta la Terre entre 2,5 et 2,3 Ga. Durant cet événement, la concentration atmosphérique en oxygène n’était que de 1 à 10 % de sa valeur actuelle. C’était encore très peu, et il fallut attendre le début du Cambrien, il y a 541 Ma, pour atteindre la teneur actuelle. Cette dernière fluctua et devînt même plus élevée jusqu’à 27 % au cours de l’Eocène (il y a environ 50 Ma) et jusqu’à 35 % pendant quelques dizaines de millions d’années au cours du Carbonifère et du Permien (il y a environ 300 Ma) avec le développement d’insectes géants, telles des libellules [2] de 75 cm d’envergure …

La concentration atmosphérique de l’oxygène fut donc faible ou très faible pendant le Précambrien, soit pendant près de 90 % de l’histoire de la Terre. Quels sont les mécanismes qui régissent cet oxygène nécessaire aujourd’hui à presque tout ce qui vit ? Quelles sont les conséquences géologiques et biologiques de ces faibles concentrations et des variations de l’oxygène au cours des temps géologiques ?

L’eau, sans laquelle la vie est impossible, fut très rapidement présente sur notre planète, 160 Ma seulement après sa formation, l’atmosphère resta fort longtemps (2 à 3 milliards d’années) riche en gaz à effet de serre, avec 10 à 1000 fois plus de dioxyde de carbone, de méthane, d’éthane, d’hydrogène, d’oxyde nitreux, de dioxyde de soufre, de sulfure d’hydrogène qu’actuellement …. l’ensemble de ces molécules étant lié pour l’essentiel au dégazage du manteau terrestre (volcanisme et métamorphisme). Les océans précambriens, également riches en ces gaz ne contenaient pas ou très peu d’oxygène pendant cette longue période. Malgré ces conditions qui nous semblent sévères pour une activité biologique, cette dernière était florissante et liée aux bactéries méthanogènes, sulfato-réductrices, … constituant des écosystèmes notamment basés sur le cycle du soufre, tels ceux rencontrés aujourd’hui dans les ’fumeurs noirs’ [3] au niveau des sources hydrothermales profondes en l’absence ou quasi-absence de lumière et d’oxygène. Des bactéries pouvaient en effet se développer dans de telles conditions puisque deux des principales conditions étaient réunies très tôt sur la Terre, à savoir présence d’eau et de roches, l’altération de ces dernières enrichissant les océans en différents éléments chimiques. Ainsi les premières bactéries à se développer sont-elles chimiosynthétiques ou chimiotrophes [4] utilisant des matières minérales (dont le dioxyde de carbone) sans aide de la lumière dans des liquides et des gaz sans oxygène. Ensuite des bactéries (= phototrophes anoxygéniques [5] utilisèrent la lumière et oxydèrent les ions sulfures en ions sulfates, qui furent repris par les bactéries sulfato-réductrices ce qui permit l’oxydation ou la dégradation de la matière organique produite par les phototrophes anoxygéniques, avec l’aide éventuelle de la fermentation bactérienne et des bactéries méthanogènes. Sans oxygène dans l’atmosphère, ni dans les océans, le fer en provenance du manteau (volcanisme) était dissout dans l’eau marine et se présentait sous sa forme réduite c.à.d. sous forme de fer ferreux [6]. A environ 2,5 Ga (période du GEO) tout ce fer fut massivement oxydé formant les fameux ‘BIF’ (Banded Iron Formation [7]) actuellement exploités à l’échelle mondiale, notamment par Arcelor Mittal. Que s’est-il donc passé il y 2,5 Ga ? car cette oxydation nécessitait la présence d’oxygène…

Ce changement majeur, cette révolution même, fut liée à l’apparition des cyanobactéries, qui munies de chlorophylle produisirent l’oxygène enrichissant progressivement les océans, puis l’atmosphère en ce gaz. Une autre source d’oxygène, sporadiquement plus importante, était liée à l’activité des bactéries sulfato-réductrices anaérobiques qui abondent aujourd’hui dans la Mer Noire, dans de nombreux fjords norvégiens…. également dans nos intestins… Elles produisirent dans les sédiments précambriens des sulfures qui réagirent avec le fer ferreux (Fe2+) pour former la pyrite (FeS2), cette réaction libéra également de l’oxygène et de l’eau [8]. L’accumulation d’oxygène, surtout par les cyanobactéries, il y a 2,5 Ga ne fut cependant pas soudaine, les premières cyanobactéries apparaissant bien avant 2,5 Ga sans que l’on puisse aujourd’hui préciser quand. Elles produisirent de l’oxygène qui fut rapidement neutralisé par des gaz réducteurs (principalement l’hydrogène) issus d’une tectonique des plaques très intense recyclant la partie supérieure du manteau jusqu’à 2,5 Ga. Avec le ralentissement progressif (sur quelques centaines de millions d’années) de cette tectonique, les gaz réducteurs n’étaient plus en mesure de neutraliser l’oxygène qui s’accumula et la plupart des bactéries anaérobiques furent décimées ou se refugièrent dans des microenvironnements qui les protégeaient de ce nouveau produit toxique…

Une autre conséquence de cette apparition de l’oxygène est par exemple la disparition de l’uraninite (UO2), minéral qui ne peut se former en présence d’oxygène (car l’uranium forme alors un ion uranyle UO22+ soluble dans l’eau). L’or des gisements d’Afrique du Sud a été arraché à des filons de quartz, ensuite transporté et déposé dans des méandres de rivières fonctionnant de 3,1 à 2,8 Ga (Archéen), cet or est associé à de petits galets ou grains de sables roulés d’uraninite également transportés et nécessairement formés en milieu réduit (sans oxygène). Ces grains sont également connus jusqu’à environ 2,5 Ga en Australie, au Canada, en Inde, après cette date l’uraninite détritique ne s’est plus formée, l’ion uranyl captant l’uranium en conditions oxydantes.

Ainsi le couplage tectonique des plaques et activité microbienne est à même d’expliquer les variations d’oxygène de notre atmosphère depuis plusieurs milliards d’années. Que ce système fonctionne depuis si longtemps est un véritable ‘challenge’ au vu de la production de l’oxygène à court terme : si les 3,7 x 1019 moles d’oxygène de notre atmosphère actuelle étaient liquéfiées, elles formeraient un liquide de 6 cm d’épaisseur recouvrant l’entièreté de la planète. Les images satellitaires et mesures de la bioproductivité végétale (phytoplanctonique, algaire, bactérienne… et celle des végétaux supérieurs) montrent que la production primaire nette de carbone est de 8,8 x 1015 moles par année. Si l’on compare cette valeur à la la quantité actuelle d’oxygène dans l’atmosphère le calcul montre que l’oxygène est produit en 4200 années [9] et qu’en regard des temps géologiques, cette concentration est certainement instable. A chacune de ses inspirations l’Homo sapiens d’il y a plus de 100 000 ans ne respirait sans doute pas exactement 21% d’oxygène…

1 La formation de la Terre date de 4,568 Ga ± 0,003 Ga (Ga = milliard d’années), les premiers organismes « développés » (métazoaires) apparaissent au Cambrien il y a 0,541 Ga ± 1 Ma (Ma = million d’années), les premières bactéries à l’Archéen il y a 3,8 Ga. Le Précambrien est divisé en Hadéen, Archéen et Protérozoïque (divisé en Paléo-, Méso- et Néoproterozoïque).

2 Il s’agit de l’espèce Meganeura monyi, appartenant à une lignée éteinte (famille Meganeuridae), apparentée aux libellules et demoiselles actuelles (ordre Odonata). Cette espèce fut découverte à la fin du XIXe siècle à Commentry, dans l’Allier en France. Cette hypothèse de gigantisme lié à un taux d’oxygène exceptionellement élevé est sujette à controverse…

3 Les fumeurs noirs ou cheminées, et sources hydrothermales sont des évents hydrothermaux situés à proximité des dorsales océaniques. Ils sont liés à l’activité des plaques tectoniques et évacuent une partie de la chaleur interne de la Terre. Ils sont le siège d’une vie sous-marine luxuriante.

4 La chimiotrophie est un des types trophiques caractérisant le mode de nutrition des organismes basé sur une source d’énergie chimique (organique ou inorganique).

5 Il s’agit de bactéries utilisant la lumière comme source d’énergie dans un milieu sans oxygène.

6 En solution aqueuse, l’élément chimique fer est présent sous forme ionique avec deux valences principales,  Fe2+ ou ‘fer ferreux’ et Fe3+ ou ‘fer ferrique’ (ce dernier est par exemple à l’origine de la teinte de nombreux ‘marbres rouges’, http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2481).

7 ou gisements de fer rubané formant des minerais très riches en fer constitués de l’alternance centimétrique de lits ou lamines quartzitiques et de lits ou lamines riches en oxydes ferriques (principalement la magnétite Fe3O4 et l’hématite Fe2O3). Ils représentent 90% du minerai de fer exploité dans le monde (ils sont très abondants entre 2,5 et 2,0 Ga, ils apparaissant vers 3,7 Ga et disparaissent vers 0,7 Ga).

Suivant la réaction 4SO42- + 2Fe2+ 4H+ = 2FeS2 (pyrite) + 2H2O + 7O2 (combinaison de deux réactions). Lorsque la pyrite est rapidement enfouie (cf. conditions géologiques), l’oxygène est libéré.

9 Canfield, 2014 Oxygen, A Four Billion Year History, Princeton University Press, Oxford.

La géologie, une science plus que passionnante … et diverse