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Les pics pétrolier et gazier, sans cesse reportés !

 par Alain Préat et Jean-Pierre Schaeken

Académie royale de Belgique

Depuis plus de 15 ans les pics pétrolier et gazier sont régulièrement annoncés comme étant atteints. Pourtant force est de constater qu’il n’en est rien. Pour preuve, les réserves prouvées tant de pétrole et gaz conventionnels que non conventionnels s’accroissent régulièrement. Il en va de même de la production mondiale qui jusqu’à présent a toujours pu satisfaire la demande même lorsque celle-ci est soutenue.

Y aura- t-il réellement un pic à l’échelle mondiale ou plutôt un long plateau avec ou sans quelques pics mineurs ? En tout état de cause, est-ce la bonne question ? Ne faudrait-il pas plutôt parler d’adéquation entre l’offre et la demande ?
Cette problématique est de premier ordre puisque nous dépendons depuis plus d’un siècle à plus de 80% des énergies fossiles et tous les acteurs du monde énergétique ne voient pas de modifications majeures d’ici 2030, et même 2050, période durant de laquelle tout le monde s’accorde à penser que la demande, et donc la consommation d’énergie primaire va s’accroître, ne fût-ce parce que la population mondiale s’accroît chaque jour de 200 000 personnes (naissances moins décès) et que le niveau de vie des pays en voie de développement et émergents augmente. Les populations de ces pays consommeront autant, si pas plus d’énergie, que leurs prédécesseurs.
Toutefois, les progrès technologiques et les considérations environnementales conduisent, à moyen terme, à une réduction progressive de la demande.

Bien entendu les réserves de combustibles fossiles ne sont pas infinies.
Mais d’une part, de nouvelles réserves sont découvertes et d’anciens champs sont optimisés. D’autre part, les progrès technologiques (techniques de prospection, forages horizontaux, amélioriation du taux de récupération primaire …) permettent de valoriser les ressources conventionnelles et non conventionnelles de pétrole et de gaz. Les impacts macroéconomiques et géostratégiques sont très importants et devraient conditionner l’évolution de nos sociétés jusqu’au moins 2050.

Le lointain passé des pierres peut-il éclairer notre proche avenir climatique et énergétique ? Entretien avec Alain Préat, géologue

Alain Préat est professeur en géologie à l’ULB et professeur visiteur au Collège Belgique. Il assure la coordination d’une série de cours et de conférences à l’Académie royale sous le titre général « Changement climatique, pourquoi tant de passions ? » et tiendra plus précisément une conférence sur les controverses qui accompagnent la récolte de ces données climatiques…

Nous avons eu le plaisir de le rencontrer alors qu’il rentrait d’une mission de trois semaines dans la brousse congolaise.

Monsieur Préat, quand on est né dans ce « scandale géologique » qu’est le Katanga, avec un père travaillant dans l’exploitation minière, devenir géologue n’est-il pas une destinée toute tracée ?

Non, cela peut étonner mais ce n’est pas la longue présence de mon père au Katanga (38 années, tout de même) qui est à l’origine de mon intérêt pour la géologie. Je ne voyais mon père que rarement et j’ai choisi cette orientation indépendamment de cela.

Un choix qui vous amènera à voyager un peu partout dans le monde…

Oui, même si la Belgique méridionale reste une région de grand intérêt géologique. Après une expérience en Algérie, assez décevante pour un chercheur à cause de la faiblesse des compétences rencontrées là-bas à l’époque, c’est en Belgique que j’ai préparé ma thèse de doctorat : j’ai travaillé sur la sédimentologie du Dévonien carbonaté dans cette zone qui couvre le nord de la France et le sud de la Belgique, un travail sur le terrain qui a permis d’élaborer des modèles de plates-formes carbonatées et d’édifications récifales.

Givétien, Frasnien, Famennien, sont des « étages » géologiques bien de chez nous… On a de la peine à imaginer que certaines crêtes près de Couvin et Treignes sont les bords de vieux récifs de coraux.

Pas exactement des coraux, mais des stromatopores, semblables à des éponges fossiles, pour simplifier. Le Dévonien, période géologique qui s’étend de moins 420 à un peu moins de 360 millions d’années, fait partie de ce qu’on appelle l’ère primaire, ou paléozoïque. Ces stromatopores dévoniens connaissent leur apogée en Ardenne, au Givétien et sont aussi très bien représentés au Frasnien. Les coraux, qui constitueront d’ailleurs par la formation des calcaires qu’ils ont induits l’un des puits de carbone les plus importants, viendront ensuite et formeront, il y a plus de 300 millions d’années, une barrière récifale mondiale qui s’étendra sur une distance une fois et demie supérieure à l’actuelle barrière de corail australienne. À l’époque, notre Ardenne se trouvait sous les tropiques de l’hémisphère sud et était recouverte par une mer peu profonde et calme dans laquelle s’accumulaient des sédiments souvent fossilifères…

Docteur en géologie en 1985, spécialiste en sédimentologie de nos régions, vous repartez pourtant en Afrique, dans la recherche pétrolière…

En effet, ces recherches en sédimentologie intéressent particulièrement les compagnies pétrolières. L’une d’entre elles, Petrofina, m’engagea alors et m’envoya diriger leur laboratoire de recherche en Angola. À côté de nombreuses études pour différentes compagnies pétrolières actives dans ce pays, mon activité principale consistait en l’analyse et l’interprétation des faciès réservoirs (le faciès est une catégorie dans laquelle on peut ranger une roche, par exemple un faciès sédimentaire marqué par un ou plusieurs caractères lithologiques ou paléontologiques, le terme « réservoir » est assez clair par lui-même), en partant de forages effectués dans le Crétacé (environ -145 à -65 millions d’années, c’est la dernière période du mésozoïque ou ère secondaire), parfois même dans le Tertiaire.

Devenu professeur à l’ULB en 1990, vous entamez une vie partagée entre l’académique et de très nombreuses missions à l’étranger (Maghreb, Papouasie, USA…), tout en restant chercheur en sédimentologie et géochimie des roches carbonatées.

On m’a recontacté pour diriger des études de 3e cycle au Maghreb, pour étudier dans une petite île du nord de la Papouasie des roches récifales soulevées, très récentes et marquées par de nombreuses transformations, puis pour diriger aux États-Unis une thèse de doctorat sur les dépôts du Dévonien. Je me suis en particulier intéressé aux causes des extinctions massives qui ont marqué le passage du Frasnien au Famennien. On ignore parfois que l’extinction massive d’espèces animales et végétales ne se limite pas à celle des dinosaures (qui n’était que la… cinquième). Celle dont je parle peut être considérée comme la quatrième. Dans ce passé lointain, des zones anoxiques (bassins privés d’oxygène) semblent avoir existé, à des échelles très vastes et des durées de plusieurs centaines de milliers d’années. Cette « crise d’anoxie » a dû participer à la disparition de 80 % des espèces vivantes, avec d’autres facteurs comme l’altération des continents. La cause des extinctions massives est sans doute multifactorielle. Il en va de même pour celle, plus tardive, des dinosaures où la fameuse météorite a sûrement joué un rôle mais l’activité volcanique de la période n’y est probablement pas pour rien, par exemple.

À la fin des années 1990, outre cette question des extinctions massives d’organismes que vous étudiez à partir des séries du Dévonien supérieur, à l’échelle euraméricaine (de l’Amérique du Nord à la Pologne), vous vous consacrez aussi à l’analyse microbiologique et géochimique des calcaires anciens.

Ces travaux, menés en association avec des biologistes, m’ont permis d’élaborer un modèle paléo-écologique basé sur la présence de ferro-bactéries fossiles, pouvant expliquer la pigmentation rouge de nombreux marbres et pierres d’ornementation. La question de l’origine de ces calcaires rouges est ancienne et accompagne le succès énorme de ces marbres et pierres rouges depuis des siècles.

Dont le marbre de Rance, ce fameux « rouge belge » ?

… qui eut en effet une immense renommée par son usage intensif lors de la décoration du château de Versailles, par exemple. Pensons à Musset qui écrivit, dans ses Poésies nouvelles :

Quand sur toi leur scie a grincé,
les tailleurs de pierre ont blessé
quelque Vénus dormant encore
et la pourpre qui te colore
te vient du sang qu’elle a versé

La couleur rouge des pierres intrigue depuis toujours et pourtant, à l’occasion même d’un symposium sur « l’ammonitico rosso » (Jurassique d’Italie) en 1991, on préféra passer sous silence la question même de cette coloration… J’ai eu récemment, en Italie précisément, l’occasion de démontrer que cette couleur rouge est liée à l’existence de ferro-bactéries vivant dans une boue carbonatée et qui meurent quand il y a trop d’oxygène. Ce sont ces bactéries qui se développaient aux interfaces dysoxiques/anoxiques dans les sédiments, qui ont oxydé le fer ferreux en fer ferrique et donné la pigmentation rouge de ces marbres qui n’ont pourtant qu’une teneur de 1 % en fer, suffisante pour la coloration. J’ai ensuite pu montrer que ces activités microbiennes étaient aussi à l’origine d’un fractionnement isotopique, ce qui constitue de fait une ‘biosignature’.

Ces travaux sont en pleine résonnance avec la mission de la NASA sur Mars (la planète rouge !) et sa sonde robotisée Curiosity, non ?

Bien sûr. Toute cette histoire des ferro-bactéries a des implications sur l’apparition de la vie dès les premiers stades de la formation de la Terre ou en exobiologie. Car ces isotopes sont comme des « signatures » de la vie. Il est amusant de penser qu’on est parti de ces marbres de Rance, qu’on se retrouve sur la planète Mars, qui contient également des oxydes de fer à sa surface. On sait maintenant, grâce au microscope électronique, que ces ferro-bactéries se retrouvent fossilisées dans de nombreuses formations géologiques rouges sur Terre.

Sur quoi portent vos travaux plus récents ?

J’effectue des missions de recherche sur le Précambrien, au Congo (RDC et Brazzaville), au Gabon et bientôt en Namibie : elles portent sur l’analyse des conséquences de l’apparition de l’oxygène au paléo-protérozoïque il y a deux milliards d’années, ainsi que sur les glaciations précambriennes au néo-protérozoïque il y a plus de 600 millions d’années. Il y a donc eu de nombreuses glaciations dans l’histoire de notre planète, dont celle qui débouche sur l’hypothèse de la fameuse « Snowball Earth », la théorie de la Terre boule de neige, une glaciation mondiale qui aurait recouvert toute la planète d’une épaisse couche de neige et de glace, il y a environ 635 millions d’années. On a pu récemment apporter de nouveaux arguments en faveur de cette hypothèse avec l’étude de roches en Namibie : sur les dépôts glaciaires de ces roches, des carbonates dits de recouvrement furent identifiés. En analysant la signature magnétique des dépôts glaciaires, on a pu déterminer qu’ils s’étaient formés à de basses latitudes. Mes travaux portent donc sur la recherche académique dans ces domaines, mais comportent également une part cartographique, plus directement utilitaire. Par ailleurs, je reste toujours intéressé par les applications potentielles aux roches réservoirs et roches sources de pétrole, et j’encadre dans ce contexte des recherches (doctorats) dans le Kurdistan irakien où je me rends régulièrement.

L’étude de la géologie confronte au vertige d’une échelle de temps longue, incomparable avec nos références historiques, sans parler des expériences de vie personnelle. Votre vision du monde en est-elle fort influencée ?

Bien entendu. D’abord parce que le fait de vivre, en pleine conscience, avec des roches d’un milliard et demi d’années ou bien plus, relativise le temps de l’humanité : l’être humain n’a que 150.000 ans environ, soit une échelle dix mille fois plus courte, ensuite parce que l’on découvre que la planète est toujours en transition, que par exemple la teneur en oxygène a souvent changé… La Terre a vécu, pour l’immense partie de son existence, sans l’Homme et n’a évidemment pas « besoin » de lui. Sans philosopher outre mesure, cela seul interroge, non ? Par ailleurs, je pense à ces physiciens fascinés par la découverte que toute la réalité est quantique, que notre cerveau lui-même est quantique… Et je me dis que ça, c’est encore une vision teintée d’anthropomorphisme, un risque auquel le géologue, lui, échappe.

C’est Camus qui écrivait, dans le Mythe de Sisyphe, pour parler de l’absurde et de « l’étrangeté » du monde par rapport à l’homme : « S’apercevoir que le monde est épais, entrevoir à quel point une pierre est étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la nature, un paysage peut nous nier… », terrible leçon de modestie pour l’homme. Mais revenons sur terre, si l’on peut dire. Vous consacrez votre vie à une discipline assez mal connue du grand public, y compris dans ses notions de base. Vous arrive-t-il de penser que cette étude de notre Terre, des sols qui la composent et déterminent la possibilité même de notre vie, devrait être davantage répandue, vulgarisée ?

Tout-à-fait. Il s’agit là d’une des grandes lacunes de l’enseignement secondaire en Belgique. Et ce n’est pourtant pas si compliqué dans la mesure où une telle formation, au niveau secondaire, n’implique pas de connaissances pointues, alors même qu’elle ouvrirait aux élèves des perspectives philosophiques importantes et un regard lucide sur la science toujours en devenir.

« La vérité scientifique n’arrive d’ordinaire au grand nombre que lorsqu’elle a cessé d’être vraie » disait Jean Rostand, il y a un siècle déjà. Est-ce aussi le cas en géologie ?

Il y a des progrès dans la connaissance, on affine, on avance des hypothèses, certaines sont abandonnées, ce qui ne signifie pas qu’on se soit trompé… L’acquis géologique est avéré. Par ailleurs, il y a des hypothèses qui ne se vérifient que bien plus tard. Par exemple, la fameuse tectonique des plaques de Wegener, que tout le monde connaît aujourd’hui : Wegener était incapable d’en donner une explication scientifique à son époque. Il faudra pour cela attendre le paléomagnétisme, quarante ans plus tard… La démarche scientifique est hypothétique, progressive et continue.

Précisément, le grand public peut s’emparer de débats scientifiques et se passionner pour ça. Deux grandes controverses contemporaines, d’abord scientifiques mais « popularisées » désormais, sont en rapport avec la géologie : le « pic pétrolier » et le « réchauffement climatique »… Il est d’ailleurs intéressant de les voir liées dans le tapage médiatique qui accompagne une réflexion, au fond scientifique mais qui exprime aussi une crainte populaire. Une optique idéologique réunit, au sein des deux « camps » opposés, des « croyants » et des « non-croyants »… On est loin de la science, là.

À propos du « pic pétrolier », qui est annoncé régulièrement depuis plus de quarante ans d’ailleurs, je tiens d’emblée à répéter que je n’ai aucun a priori. Objectivement, il reste du pétrole pour encore longtemps mais ce fait doit être mis en relation avec une consommation mondiale croissante : chaque jour la planète porte 221.000 humains supplémentaires, les pays émergents se développent industriellement et la consommation d’énergie augmente. Les dérivés du pétrole représentent 80 % des combustibles, 90 % si on ne tient pas compte du bois. On comprend donc l’inquiétude. Mais la controverse est là, entre les optimistes (les « cornucopiens » qui croient à la permanence d’une corne d’abondance) et les pessimistes (les « hubbertistes », du nom de cet expert qui annonçait dès 1940 le pic pétrolier américain pour 1970). Si l’on s’en tient aux faits, que l’on reste objectif et critique, que peut-on dire ? D’abord que, si Hubbert a commis en son temps une erreur d’évaluation sur la production américaine, les pessimistes n’ont pas tort de constater que l’on consomme aujourd’hui 6 à 7 barils pour 1 baril découvert alors qu’il y plus de 30 ans on consommait un baril pour 5 découverts. Que, si les optimistes se basent sur des réserves des compagnies nationales (qui détiennent plus de 80 % des réserves mondiales) en réalité surestimées pour des raisons boursières, les hubbertistes ne prennent pas en compte le progrès technologique qui permet d’améliorer les rendements et les techniques d’exploration. Que d’un côté on sous-estime la production potentielle de gaz, et de l’autre on découvre moins de champs géants, d’ailleurs en déclin. À quoi il faut ajouter les arguments opposés concernant le rôle de la spéculation dans la hausse des prix pétroliers, les politiques économiques des pays concernés, etc. Bref, le débat est trop complexe pour le trancher ainsi. Ce qu’on peut dire de certain, c’est que le pétrole bon marché c’est fini, que la notion de « pic pétrolier » est valide mais sa date incertaine. Le monde consomme 30 milliards de barils par an, soit environ 4 barils par personne mais avec des différences colossales : un Américain utilise en moyenne 25 barils par an, un Indien 0,9 baril. Les réserves pétrolières sont estimées selon les « camps » à 2013 ou 3012 Gbbl (milliards de barils), la quantité déjà extraite est de 1095 Gbbl, le pic pétrolier se situerait dès lors pour le seul pétrole conventionnel en 2037 ou en… 2005. Mais il y a le pétrole non conventionnel : schistes et gaz bitumineux ainsi que les « gaz de schistes ». Or, en tenant compte de ces gaz de schistes, les réserves mondiales de gaz sont passées de 60 années à plus de deux siècles… On comprend donc que le problème n’est pas seulement technologique et « naturel », c’est aussi un problème politique avec ses contraintes environnementales, entre autres. En conclusion : c’est un problème très complexe, comme notre monde lui-même, et qui ne devrait pas devenir un enjeu politique et médiatique simpliste. Il me semble en outre qu’à côté de ces querelles, il ne manque pas de défis urgents dignes d’attirer l’attention des décideurs politiques et dont l’oubli mène à de véritables drames, ici et maintenant : la question de l’accès à l’eau potable, par exemple, ou la pauvreté insupportable dans des régions entières.

Vous venez d’ailleurs de publier un article dans le Bulletin de la Classe des Sciences de l’Académie, sur le sujet (Panique sur les réserves de pétrole ?, ce 10 octobre). Quant à l’autre grand débat actuel, à propos du « réchauffement climatique », n’obéit-il pas lui aussi, à cette logique simpliste des « pour » et des « contre » ?

Malheureusement si. Et pour des raisons similaires : données incomplètes ou non représentatives statistiquement, compte mal tenu des lieux, corrections insuffisamment expliquées, voire courbes statistiques tronquées… Le problème vient de ce qu’on outrepasse les données brutes au profit d’une médiatisation intéressée. D’une part, et c’est un drame pour l’image même de la communauté scientifique toute entière, nous assistons à une course à l’échalote publicitaire, les chercheurs orientant leurs travaux vers ce qui est porteur budgétairement, vers des publications sources de retombées intéressantes, d’autre part la communauté scientifique éclate en factions rivales…

Mais le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, créé par deux agences de l’ONU : l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations unies pour l’environnement) a pour mandat, je cite : « d’évaluer, sans parti pris et de manière méthodique, claire et objective, les informations scientifiques, techniques et socio-économiques disponibles en rapport avec la question du changement du climat. Le GIEC est censé rendre compte des différents points de vue et des incertitudes, tout en dégageant clairement les éléments qui relèvent d’un consensus de la communauté scientifique ». Or c’est le GIEC qui est au cœur de la tourmente entre scientifiques…

D’abord le GIEC fonctionne au consensus, ce qui me paraît incompatible avec une démarche proprement scientifique : la science, c’est non seulement le doute permanent mais aussi l’ouverture constante à la critique, à la réfutation toujours possible. Que l’on demande à des scientifiques d’aboutir à un accord unanime sur des textes me paraît déjà anormal. Alors quand il s’agit de problèmes aussi complexes que l’évolution du climat et de ses causes, j’ai des… doutes.

Ce que vous dites ne laisse pas d’inquiéter le public : que penser si les « savants » ne sont pas d’accord ? « L’union des travailleurs de la preuve » disait Bachelard en parlant de la communauté scientifique… Cette vérité scientifique est-elle un leurre ?

Ce genre d’études est commandité par des autorités politiques. Le GIEC est tenu de résumer son immense travail en une petite centaine de pages destinées aux décideurs politiques dont dépend l’obtention de crédits… Simplifications, intérêts, qui ne voit là un risque, un danger pour la science authentique ? Je ne dis pas du tout que le GIEC travaille mal, je dis seulement que toute démarche scientifique implique des discussions, des controverses, des doutes… et pas le consensus.

Mais les décideurs politiques, même obsédés par le temps très court des logiques électorales et des rentabilités boursières, failliraient à leurs devoirs s’ils ne s’adressaient pas à ces experts…

C’est aux scientifiques à ne pas tomber dans le piège. À la limite, cette controverse entre scientifiques serait bénéfique si elle n’était tombée dans le champ public, politique, idéologique, financier, bref dans le monde non rationnel. Ce genre de dérive est banal depuis les années 90, depuis que la recherche est devenue un enjeu économique. Il me semble que la complexité des phénomènes tels que la durée de production pétrolière et a fortiori le réchauffement climatique interdisent la caution scientifique de décisions politiques. Peut-être qu’on n’a pas encore toutes les données, tout simplement. Et que les gens sont trop impatients. « La science ne se soucie ni de plaire ni de déplaire, elle est inhumaine », disait Anatole France. Personne n’a le courage de dire : à ce stade de nos connaissances, on ne sait pas prévoir l’avenir du climat. Les facteurs sont tout simplement trop complexes. Et cela commence avec les données climatiques elles-mêmes : il semble ne pas y avoir de consensus sur la pertinence de ces relevés. C’est ce que je vais tenter d’expliquer lors de cette conférence à l’Académie Royale le 14 novembre prochain, que j’intitule : « La récolte des données climatiques : quelles controverses ? ».

Interview réalisée par Michel Gergeay – octobre 2012

Le Déluge face aux moraines glaciaires, premier débat sur le changement climatique

par Alain Préat

Le premier doute sur l’interprétation diluvienne fut apporté en 1806 par un botaniste russe, Mickhail Adams, lorsqu’il exhuma un mammouth quasi intact, avec squelette complet, cartilages en place, peau bien préservée et longs poils laineux entiers. Cuvier en conclut immédiatement que ce mammouth était adapté aux régions froides de l’Arctique, y avait vécu et péri et ne pouvait provenir des tropiques. Le débat sur le changement climatique était lancé et allait diviser la communauté des géologues d’Europe et d’Amérique du Nord jusqu’à la synthèse d’Agassiz en 1840. La découverte d’animaux ressemblant aux éléphants dans les dépôts superficiels d’Europe et les plaines gelées du nord de la Sibérie était un problème pour les savants du 18ème siècle, puisque ces animaux n’étaient connus que dans les tropiques, et à l’époque il n’était pas question de changement du climat. Une seule explication était possible et fut proposée en 1728 par le zoologiste allemand Johann Breyne : les animaux ont péri lors du Déluge de Noé, les os et les dents ayant été transportés vers le Nord par les flots, les vents et abandonnés sur place à la fin du Déluge. Ce dernier était universel et les Ecritures bibliques représentaient la clé de l’interprétation de l’histoire naturelle. En 1796 Cuvier, un brillant anatomiste des vertébrés, fut le premier a montrer qu’il s’agissait de mammouths, donc une espèce distincte des éléphants actuels, et le mammouth devint à cette occasion la première espèce reconnue comme éteinte, bien avant les dinosaures en 1820 (suite lien web).

Les ressources naturelles sont-elles inépuisables?

Les ressources naturelles [1] peuvent-elles satisfaire sans fins nos exigences de bien être ?  À long terme surement pas, les gisements (métaux -uranium, thorium, or … et pierres précieuses –diamants, saphirs, topazes…), les hydrocarbures (gazeux, liquides, solides) et les géomatériaux (roches, sables, granulats…) ne sont pas renouvelables. L’économie internationale étant contrainte en premier lieu par la géologie, il en résulte une distribution inégale des richesses de la Terre et une lutte pour se les approprier, nécessitant un développement technologique pour accroître les volumes récupérables. Certains vont même jusqu’à parier que les futures ressources seront à prendre sur d’autres planètes, sur des astéroïdes ; des équipes y travaillent déjà. En attendant, tentons un bilan de la situation actuelle : reste-t-il assez de ressources sur notre planète? Pour combien de temps ?  Estimer leur volume ultime[2] est assez facile grâce à l’exploration de plus en plus efficace, mais prédire leur durée d’exploitation est une autre paire de manches car elle dépend de facteurs économiques et politiques aléatoires aussi bien dans les court et moyen termes. Les réserves ne peuvent qu’évoluer au cours du temps en fonction des moyens et les déclarer est un acte politique et économique de grande importance.