Le futur de l’approvisionnement en pétrole est difficile à cerner tant les données contradictoires sont légion, aussi bien celles fournies par les géologues des grandes compagnies pétrolières que celles des économistes et financiers. Le pétrole est une ressource non renouvelable, en quantité finie sur la Terre, et pourtant contrairement à ce qui est souvent rapporté, il en reste encore beaucoup, de sorte que le pic de pétrole n’est pas pour tout de suite. Plusieurs organismes fiables rendent compte de la consommation et de la production des hydrocarbures et tentent des projections sur ce que seront nos besoins énergétiques dans le futur. Les trois plus importantes sources sont (1) l’Agence Internationale de l’Énergie (AEI) créée au sein de l’OCDE, (2) l’Agence d’Information de l’Énergie (AIE) du Département Américain de l’Énergie et (3) le Service Géologique US (USGS) qui dépend du Ministère US de l’Intérieur. Ces organismes reconnaissent que la quantité de combustibles fossiles n’est pas connue avec précision, mais que leur ordre de grandeur est bien circonscrit. L’analyse des graphiques publiés par ces organismes suggère que le pic de production pétrolière aura lieu entre 2004 et 2030. Pour les spécialistes (géologues confrontés ‘au terrain’) la fourchette est plus restreinte, le pic ayant lieu entre 2010 et 2020. Pour certains nous aurions même déjà franchi le pic. Le pic de production du pétrole ou pic de Hubbert correspond au moment ‘précis’ où la moitié du pétrole aura été produite, ensuite la production ne peut plus assurer la demande. De nouvelles ressources hydrocarbonées sont récemment disponibles en grandes quantités suite au prix élevé du baril, il s’agit des pétroles subconventionnels et non conventionnels. Leur valorisation déplacera dans le temps la date du pic de production pétrolière. De combien d’années ? Personne ne le sait réellement, de même que plus qu’un pic, il semble que nous nous dirigeons au moins jusqu’en 2035 vers un plateau de production de pétrole avec des hauts et des bas. La part des combustibles fossiles dans l’énergie primaire mondiale est aujourd’hui d’environ 80 % et ne devrait pas changer significativement d’ici 2030, voire 2050. Nous serons probablement, dès 2015, moins dépendant du pétrole que du gaz et du charbon. Le pétrole et d’une manière plus générale les combustibles fossiles continueront à se développer économiquement en valorisant les taux de récupération et l’exploitation des ressources hydrocarbonées non conventionnelles. Les modifications de l’offre dans l’énergie primaire mondiale n’ont pas lieu à l’échelle des mois ou des années, mais bien des décades (suite lien web).
Archives de catégorie : energy and fields
Gaz de schiste et gaz de roche mère
par Alain Préat
Le premier puits de gaz naturel est creusé à la pelle, en 1821, à Fredonia (État de New-York, aux États-Unis), à 9 mètres de profondeur, dans des roches carbonifères naturellement fracturées et il est rentable (le gaz remplaçant l’huile de baleine valait 2 000 $/baril en termes actuels). De 1850 à 1900, d’autres puits sont forés en Europe (Angleterre surtout) et États-Unis (Louisiane, Michigan), et exploitent également l’huile de schiste ou shale oil [1]. Ce premier essor de mise en valeur de gisements d’hydrocarbures non conventionnels est stoppé net par la découverte des grands gisements de pétrole conventionnels du Moyen-Orient dans les années 1950-1960. Face à l’épuisement relatif des hydrocarbures conventionnels, grâce surtout aux progrès technologiques (forages horizontaux) et aux nouvelles connaissances géologiques dans les techniques d’exploration-production, nous redécouvrons les hydrocarbures non conventionnels qui semblent promis à une seconde jeunesse. Ils « dorment » à plus de 1000 m de profondeur et ils ne sont pas rentables au-delà de 4 000 m de profondeur.
Le gaz abiotique naturel
par Alain Préat
Probablement pas une nouvelle source rentable d’hydrocarbures…
Tous les hydrocarbures naturels, c’est- à-dire le pétrole y compris le gaz méthane (CH4) parmi d’autres gaz, sont essentiellement liés à l’évolution de la matière organique au cours de son enfouissement dans les séries géologiques. Une partie du méthane sur Terre peut également être produite par des microorganismes adaptés à la vie dans les milieux extrêmes, souvent en l’absence d’oxygène [1]. Mais il est moins connu que le méthane peut aussi être produit par l’altération et/ou le métamorphisme de roches magmatiques basiques et ultraba- siques donnant des serpentinites à partir des péridotites du manteau supérieur [2]. Ces roches présentes à la fois dans les zones océaniques (les dorsales médio-océaniques) et sur les continents dans les zones dites cratoniques (anciennes croûtes continentales très épaisses) sont à l’origine de la production de méthane non biogénique. Les serpentinites résultent de réactions d’hydratation à basse température (< 100°C) des roches ultrabasiques et, outre la production de méthane surtout en présence de dioxyde de carbone, elles sont aussi à l’origine de la production de faibles quantités d’hydrogène (seul mode de production abiotique sur la Terre), d’azote et d’hélium. Cet hydrocarbure abiotique (le méthane) mantellique pourrait être lié à l’origine de la vie sur Terre et le processus expliquerait aussi la présence de différents hydrocarbures sur d’autres planètes et dans de rares météorites. Sur notre planète, on le trouve lié aux systèmes hydrothermaux, aux édifices volcaniques, aux intrusions ignées (roches magmatiques mises en place dans des formations déjà constituées), dans les boucliers cristallins (roches magmatiques et métamorphiques du Précambrien), au Japon, en Nouvelle-Zélande, en Grèce, en Italie, en Russie, aux USA, en Chine, à Oman etc.
Une des plus belles occurrences est celle du site Chimaera dans le Golfe d’Antalya en Turquie, le plus grand champ onshore [3] de méthane abiotique actuel. En effet, ce champ est lié à une zone faillée avec serpentinisation de péridotites et d’ophiolites suite à l’obduction [4] des Alpes. Le gaz de Chimaera (87% de méthane, 10% d’hydrogène et quelques pourcents d’autres hydrocarbures) brûle en formant une vingtaine de flammes de 50 cm de hauteur. Ce méthane s’échappe également sans brûler à partir de failles ou de fissures qui libèrent annuellement environ 200 tonnes de ce gaz dans l’atmosphère. Les arbres et les sols de la région sont totalement brûlés sur 2000 m2. Les analyses isotopiques du carbone et de l’hydrogène confirment qu’il s’agit bien de gaz abiotique. Des datations au carbone 14 montrent que cette source gazeuse a plus de 50 000 ans d’âge. Elles furent observées par Pline l’Ancien il y a près de 2000 ans qui les considérait comme des « flammes éternelles ». Le méthane émis jusqu’à aujourd’hui est de l’ordre de 400 millions de mètres cubes et représente une faible portion d’un réservoir sous pression. Homère (fin du VIIIe siècle avant J-C) avait déjà noté dans l’Iliade la présence de Chimères ou monstres crachant du feu et dévorant les humains à Chimaera près du site archéologique de Cirali.
Qu’en est-il de l’aspect commercial de ce gaz ? On estime aujourd’hui que ce méthane abiotique représente bien moins de 1 % du gaz présent dans la plupart des réservoirs d’hydrocarbures. Son évaluation reste à faire, d’autant plus qu’il ne peut être mis en évidence que par des analyses isotopiques détaillées du carbone, de l’hydrogène et/ou de l’hélium (ce dernier provenant du manteau). De plus, jusqu’à aujourd’hui, ce gaz n’a été mis en évidence que sur la partie continentale du Globe (onshore), rien ou très peu est connu au niveau de la partie offshore immergée, par exemple au niveau des dorsales médio-océaniques où l’altération des péridotites est un processus dominant.
Sept sites hydrothermaux actifs producteurs de méthane, d’hydrogène et d’azote abiotiques suite aux processus de serpentinisation sont connus le long de la dorsale médio-atlantique et chaque site fonctionnerait plusieurs dizaines de milliers d’années (au moins 30 000 ans) avant de s’éteindre. La théorie du gaz (et du pétrole) abiotique formé à grande profondeur (à partir de dépôts de carbone, datant peut-être de la formation de la Terre) a été développée en Union Soviétique (et Ukraine) après la Seconde Guerre mondiale et a jeté le trouble dans la communauté scientifique pendant fort longtemps. À ce moment-là, les grands champs pétroliers du Moyen- Orient venaient d’être découverts et la formation du pétrole était encore sujette à discussion. Les mécanismes proposés par les soviétiques se sont révélés erronés et la théorie a été abandonnée après quelques décennies (1950-1980) lorsque l’origine organique du pétrole (cf. SPS, n°312 [5]) a été définitivement démontrée. Néanmoins la « théorie soviétique » continue à intriguer les non spécialistes et constitue d’ailleurs l’objet de l’intrigue majeure d’une BD récemment parue aux éditions du Lombard [6].
Notons enfin que depuis 1913, la chimie est à même de produire du méthane en laboratoire à partir de dioxyde de carbone et d’hydrogène ce qui a valu à Paul Sabatier le prix Nobel. Depuis lors, la « réaction Sabatier » fut menée suivant plusieurs voies, par exemple en remplaçant le dioxyde de carbone par le monoxyde de carbone (réaction Fischer-Tropsch ayant permis à l’Allemagne nazie et à l’Afrique du Sud – au temps de l’apartheid – de produire du méthane à partir de charbon). Les réactions chimiques ont cependant lieu à des températures nettement plus élevées que celle de production du gaz non biogénique naturel.
En conclusion, en l’état actuel des connaissances, le méthane abio- tique bien que non quantifié n’a pas le potentiel d’une source d’hydrocarbures rentable. En effet, il semble- rait qu’il soit associé en très faible quantité aux hydrocarbures habituels (pétrole et gaz biotiques) et est donc exploité avec ces derniers.
Alain Préat
Géologue, professeur à l’ULB (Université Libre de Bruxelles), département des Sciences de la Terre et de l’Environnement.
1 Il s’agit des Archées (encore appelées Archéobactéries) c’est-à-dire de microorganismes unicellulaires proca- ryotes (pas de noyau, pas d’organites) adaptés à la vie dans les milieux extrêmes, souvent en l’absence d’oxygène (sources hydrothermales du fond des océans, lacs salés, marais, sols… y compris dans le corps humain – par exemple le colon).
2 Enveloppe du Globe limitée par la base de la croûte aux environs de 10 à 30 km de profondeur et le manteau infé- rieur à environ 700 km de profondeur. Elle est composée de péridotites, roches riches en magnésium et assez pauvres en aluminium. Les roches basiques et ultrabasiques sont des roches magma- tiques très pauvres en silice, elles contiennent plus de 90% de minéraux riches en fer et magnésium (olivine, pyroxène…). Le métamorphisme est la transformation d’une roche à l’état solide suite à une élévation de la température et/ou de la pression.
3 À terre, sur le continent, par opposition à offshore, en mer.
4 Chevauchement d’une vaste portion de croûte océanique (représentée par des complexes ophiolitiques) sur une zone de croûte continentale. Les ophiolites représentent ici des péridotites foliées ayant subi des déformations tec-toniques.
5 Gisements supergéants disparus : le pétrole du Précambrien. www.pseudo- sciences.org/spip.php?article2419
6 Quand la fiction s’inspire de la réalité : du pétrole plein les cases www.ulb.ac.be/sciences/dste/sediment/pa ges_perso/Preat_fichiers/BD_Petrole.pdf